CONTE: LA FONTAINE DE FER
À l'endroit le plus reculé de la
forêt, il y avait une source. On l'appelait fontaine de fer, car son eau
ferrugineuse avait une couleur de rouille. Les hommes aimaient bien boire à
cette fontaine, car son eau décuplait leurs forces et améliorait leur santé. On
racontait aussi qu'un homme à la peau de fer l'habitait, mais personne ne
l'avait jamais vu.
Un jour, le chef d'une tribu qui
vivait dans la grande forêt vint boire à la fontaine de fer. Lorsqu'il se
pencha pour se désaltérer, deux mains solides l'empoignèrent à la gorge.
Une voix tonitruante se fit
entendre :
" Je ne te lâcherai pas tant
que tu ne m’auras pas promis la main de ta fille ! "
Le chef réussit à articuler :
" Je ne peux rien te
promettre sans avoir parlé à ma fille. Sans son accord, je ne peux rien faire.
"
Mais la voix tonitruante
s'impatienta :
" Si tu ne me donnes pas ta
parole, je t'étranglerai sur-le-champ ! "
La gorge du chef se serra
brutalement :
" D'accord, d'accord ! Tu
auras ma fille. "
" Amène-la-moi demain, à la
même heure ", ordonna la voix.
Le chef revint tristement chez
lui et raconta aux siens sa mésaventure. La mère de la jeune fille déclara :
" Tu n'iras nulle part et
notre fille ne bougera pas de la maison ! "
Cette dernière, cependant, ne
l'entendait pas de cette oreille
" Chose promise, chose due !
Nul ne sait ce que l'homme de fer serait capable de faire si je ne venais pas.
La tribu tout entière pourrait en souffrir. Je ne veux pas être responsable de
son malheur. "
Le lendemain, le chef conduisit
donc sa fille à la fontaine de fer.
La voix tonitruante se fit
entendre à nouveau :
" Rentre chez toi, chef, et
toi, ma femme, assieds-toi sur ce rocher ! "
La jeune fille fit ses adieux à
son père et s'assit sur le rocher.
Son père parti, elle s'endormit
profondément.
Elle dormit longtemps. À son
réveil, elle était allongée sur un lit, dans une chambre de fer. Une table
ployait sous des mets délicats. La jeune fille mangea, puis s'endormit à nouveau.
Et il en fut ainsi tous les jours.
La fille du chef menait une vie
agréable. Elle n'avait aucun souci, aucune obligation, ne faisant que boire,
manger et dormir. Cependant, elle ne voyait jamais son mari. Quand elle avait
besoin de quelque chose, elle n'avait qu'à exprimer son voeu pour qu'il fût
aussitôt exaucé.
Les mois passèrent et la fille du
chef mit au monde un petit garçon dont la peau était en fer. Elle n'en fut pas
gênée le moins du monde, adorant son enfant et rêvant de le montrer à ses parents.
Elle demanda alors :
" Je voudrais aller passer
quelques jours chez mes parents pour leur montrer mon fils. "
" D'accord, " répondit
la voix tonitruante, " mais tâche de revenir dans une semaine ! "
Sitôt prononcées ces paroles, la
jeune femme se tenait déjà devant la fontaine de fer, son petit garçon dans les
bras.
La famille du chef fut très
heureuse du retour de la fille. La mère n'aimait pas beaucoup la peau de fer de
son petit-fils, mais elle se consolait en se disant :
" Au moins il ne s'écorchera
pas les genoux en tombant ! "
Une semaine passa aussi vite
qu’une journée et la fille s’apprêtait à repartir.
" Tu n'iras nulle part
", décida sa mère. " Ce n'est pas une vie pour toi, si tu ne connais
même pas ton mari. Je ne te laisserai pas repartir ! "
La jeune femme eut beau supplier,
se lamenter, craindre un malheur, sachant que l'homme de fer allait la punir,
sa mère se montra intransigeante.
Tout d'un coup, des pas lourds
résonnèrent devant la maison du chef. Un grand homme à la peau de fer entra.
C'était l'homme de fer qui était venu chercher son fils. Il écarta sa femme et
cria de sa voix tonitruante :
" Je prends l'enfant. Et
toi, reste ici, puisque tu ne sais pas obéir ! "
Sur ce, il disparut en emportant
le petit. Ce fut la première et la dernière fois que la fille du chef vit son
époux de fer. Il en fut de même pour son enfant. Elle avait beau rester assise
au bord de la fontaine de fer et supplier son mari de la reprendre auprès de
lui, la voix tonitruante de celui-ci ne se fit plus jamais entendre.
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