LÉGENDE: LA LÉGENDE BAOULE (B. B. DADIE)
Il y a
longtemps, très longtemps, vivait au bord d’une lagune calme, une tribu
paisible de nos frères. Ses jeunes hommes étaient nombreux, nobles et
courageux, ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine
Pokou, était la plus belle parmi les plus belles. Depuis longtemps, très
longtemps, la paix était sur eux et les esclaves mêmes, fils des captifs des
temps révolus, étaient heureux auprès de leurs heureux maîtres.
Un jour, les ennemis vinrent nombreux comme
des magnans. Il fallut quitter les paillotes les plantations, la lagune
poissonneuse, laisser les filets, tout abandonner pour fuir. Ils partirent dans
la forêt. Ils laissèrent aux épines leurs pagnes, puis leur chair). Il fallait
fuir toujours, sans repos, sans trêve talonné par l’ennemi féroce. Et leur
reine, la reine Pokou, marchait la dernière, portant au dos son enfant. À leur
passage l’hyène ricanait l’éléphant et le sanglier fuyaient, le chimpanzé
grognait et le lion étonné s’écartait du chemin. Enfin les broussailles
apparurent, puis la savane et les rôniers et, encore une fois, la horde entonna
son chant d’exil : Mi houn Ano, Mi houn Ano,blâ ô Ebolo nigué, mo ba gnan min –
Mon mari Ano, mon mari Ano, viens, Les génies de la brousse m’emportent.
Harassés, exténués, amaigris, ils arrivèrent sur le soir au bord d’un grand
fleuve dont la course se brisait sur d’énormes rochers.
Et le fleuve
mugissait, les flots montaient jusqu’aux cimes des arbres et retombaient et les
fugitifs étaient glacés d’effroi. Consternés, ils se regardaient. Était-ce là
l’Eau qui les faisait vivre naguère, l’Eau, leur grande amie ? Il avait fallu
qu’un mauvais génie l’excitât contre eux. Et les conquérants devenaient plus
proches. Et pour la première fois, le sorcier parla : « L’eau est devenue
mauvaise, dit-il et elle ne s’apaisera que quand nous lui aurons donné ce que
nous avons de plus cher. » Et le chant d’espoir retentit : Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan Ebe nin flê nin dja Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un appelle
son fils Quelqu’un appelle sa mère Quelqu’un appelle son père Les belles filles
se marieront Et chacun donna ses bracelets d’or et d’ivoire, et tout ce qu’il
avait pu sauver.
Mais le
sorcier les repoussa du pied et montra le jeune prince, le bébé de six mois :
«Voilà, dit-il, ce que nous avons de plus précieux.» Et la mère, effrayée,
serra son enfant sur son cœur. Mais la mère était aussi la reine et, droite au
bord de l’abîme, elle leva l’enfant souriant au-dessus de sa tête et le lança
dans l’eau mugissante. Alors les hippopotames, d’énormes hippopotames
émergèrent et, se plaçant les uns à la suite des autres, formèrent un pont et
sur ce pont miraculeux le peuple en fuite passa en chantant : Ebe nin flê nin
ba Ebe nin flâ nin nan Ebe nin flê nin dja Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un
appelle son fils Quelqu’un appelle sa mère Quelqu’un appelle son père Les
belles filles se marieront Et la reine Pokou passa la dernière et trouva sur la
rive son peuple prosterné. Mais la reine était aussi la mère et elle put dire
seulement « baouli », ce qui veut dire : l’enfant est mort. Et [c’est grâce à]
la reine Pokou [que] le peuple garda le nom de Baoulé. Bernard Dadié Légendes
africaines
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