HISTOIRE: Salif Keita DOMINGO (Mali)



UNE ARRIVEE A SAINT-ETIENNE LEGENDAIRE


Salif Keita est né à Bamako le 12 décembre 1946 et il a grandi à Ouolofobougou, un quartier populaire de la capitale du Mali. Il commence à se faire un nom dans l’équipe des Pionniers de Ouolofobougou , où à 12 ans seulement, il affole des adversaires qui jouent régulièrement en juniors. A 16 ans, il intègre le Real Bamako, l’un des clubs les plus importants du pays et peu de temps après la sélection nationale, ce qui en fait le joueur le plus jeune ayant jamais évolué pour les « Aigles du Mali ». Avec son club, il gagne trois championnats mais il s’incline par deux fois en finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions. Lors de la première tentative en 1965, il avait été prêté par le Real et il avait joué avec le Stade Malien de Bamako qui avait du s’avouer vaincu face aux Camerounais de l’Oryx de Douala. L’année suivante, c’est avec le Real de Bamako qu’il avait déposé les armes contre le Stade d’Abidjan. 

Un supporter des Verts, d’origine libanaise et vivant au Mali, Charles Dagher informe l’ASSE par courrier qu’il existe un prodige africain à faire venir absolument à Saint-Etienne. Son insistance (on parle de trois lettres reçues de sa part au siège du club) intriguent les dirigeants stéphanois et ils envoient un billet d’avion à Salif Keita pour qu’il effectue un essai dans le Forez. 
Son départ du Mali n’est pas une sinécure. Keita est adulé dans son pays mais il est également vilipendé au gré de ses performances qu’un caractère nonchalant rend aléatoire. Dernièrement, malgré 26 sélections avec l’équipe du Mali, il a été conspué après une piètre prestation contre la Guinée. Cette situation le pousse à changer d’air et clandestinement, aidé par Charles Dagher, il gagne Monrovia, la capitale du Libéria à partir de laquelle il s’embarque pour Paris. 

Son arrivée sur le sol français est encore plus rocambolesque. Il arrive à Paris le 14 septembre 1967 et bien que les témoignages divergent, une chose est sûre, personne ne l’attend. Soit selon les uns, il a atterri dans un autre aéroport que celui où il était attendu (Orly au lieu du Bourget ou le contraire) soit aucun membre de l’encadrement stéphanois n’a fait le déplacement. Qu’à cela ne tienne ! Il appelle un taxi et lui commande de se rendre à Saint-Etienne. Quand le chauffeur lui demande comment il compte payer sa course, Salif Keita lui répond : « c’est l’ASSE qui s’en chargera », une lettre avec l’entête du club comme seule garantie. Il a la chance de tomber sur un homme, fervent supporter du Stade de Reims, qui connaît suffisamment le football, pour savoir que les Verts ont les moyens de lui régler l’addition. Il accepte donc de transporter le Malien jusque dans le Forez, soit un trajet de plus de 500 km. A destination, au siège du club, qui se trouvait à l’époque, en plein centre ville (Rue de la Résistance), Salif Keita est accueilli par la secrétaire qui, étonnée, décide de téléphoner au vice-président, Maître Fieloux, qui en l’absence du secrétaire général, Charles Paret alors en vacances, doit prendre la décision finale. A savoir : va-t-il ou non dédommager le chauffeur ? Après réflexions, Maître Fieloux accepte de payer le montant demandé qui se montait alors à plus de 1000 francs : Un investissement que, bien sûr, personne n’allait regretter. 


LE MEILLEUR JOUEUR DE L’HISTOIRE DE L’ASSE


Salif Keita est accueilli par René Domingo, un des responsables de l’équipe réserve de l’ASSE qui lui fait faire le tour du propriétaire. Ce dernier est intrigué par le surnom qui a été attribué à l’espoir africain. En effet, on l’a surnommé au pays « Domingo » même si l’ancien capitaine de l’ASSE n’a rien avoir avec cette anecdote. Dès le premier entraînement, le Malien impressionne et le grand public ne tarde pas à connaître ce nouveau génie du ballon rond. Il participe au lever de rideau du match de coupe d’Europe entre l’ASSE et les finlandais de Kuopio le 20 septembre 1967. L’équipe junior de l’ASSE affronte sa voisine l’Olympique de Saint-Etienne. Elle gagne 8-1 avec six buts de Keita. Les spectateurs présent ce soir-là ont eu le privilège d’avoir assisté à la naissance d’un mythe. 

Albert Batteux, le nouvel entraîneur, est subjugué. Il sent qu’il tient là une pépite et il précipite les démarches pour la qualification de son attaquant. Salif Keita débute en championnat dès le 19 novembre 1967 à Monaco. Il ne lui faut que sept minutes pour trouver le chemin des filets, une victoire facile à la clé, 3-0. Avec Rachid Mekloufi, Batteux a deux éléments offensifs de classe internationale et pourtant il n’arrivera pas à les faire jouer ensemble. D’ailleurs, le jeune malien va connaître sa première désillusion. Lors de la finale de la Coupe de France contre Bordeaux en 1968, c’est Rachid qui sera titularisé à son détriment, Batteux lui expliquant, qu’en raison de sa jeunesse, il a tout son temps. 



Salif Keita dans ses oeuvres

Après le départ de Mekloufi, il devient à partir de la saison 1968-69, le dépositaire de l’attaque stéphanoise et il forme avec Hervé Revelli un duo d’une efficacité redoutable. Toutefois, malgré une part de plus en plus prépondérante dans les résultats de l’ASSE (il a marqué 23 buts cette saison-là toute compétitions confondues), il a toujours le statut d’amateur. Les Verts ont conservé leur titre pour la troisième année consécutive avec comme figure de proue, un amateur. Incroyable ! Las de cette situation, il démissionne et part en vacances. Il crée évidemment un séisme sans précédent. Roger Rocher, Charles Paret et Albert Batteux doivent donc s’envoler pour Bamako afin de régulariser la situation. Salif Keita sera bien encore Stéphanois alors même qu’il avait signé un accord avec Anderlecht, ce dernier n’étant dénoncé que la veille du début du championnat. 

Les spectateurs de Geoffroy-Guichard pourront ainsi admirer un joueur qui aurait pu, s’il était né brésilien, être sélectionné avec les « Auriverde » tellement il était capable de réaliser des gestes géniaux. Définitivement, il acquiert ses lettres de noblesse pour être considéré, sans quasiment aucune contestation possible, comme le meilleur joueur de l’histoire du club. Son allure féline l’apparente à une panthère noire, qualificatif qui lui colle à la peau et qui devient par la même l’emblème de l’AS Saint-Etienne. 
En 1970, il participe activement à la conquête du deuxième doublé en trois ans. Il est un des artisans de la qualification historique face au Bayern Munich (0-2 et 3-0) et des raclées infligées à Lyon (7-1 et 6-0). Ce n’est que justice s’il se voit décerné par France Football le ballon d’or du meilleur joueur africain. Et que dire de la saison 1970-71 où il marque la bagatelle de 42 buts en championnat avec un sextuplé contre Sedan. Un record pour un attaquant stéphanois et qui n’est pas prêt d’être battu. 



UN DEPART MOUVEMENTE


La saison suivante, 1971-72, est moins glorieuse. Les Verts ne terminent que sixième du championnat. La défense, décimée par les départs chaotiques de Georges Carnus, Bernard Bosquier et celui plus naturel de Vladimir Durkovic, n’a pas eu le rendement escompté malgré le recrutement de l’arrière central Daniel Sanlaville et du gardien André Castel. 
Salif Keita a tenu l’équipe à bout de bras, en l’absence d’Hervé Revelli parti provisoirement sous d’autres cieux. Il inscrit tout de même 29 buts, toutes compétitions confondues, avec notamment un quadruplé contre Reims le 25 août 1971 pour la victoire la plus large de l’histoire du club à Geoffroy Guichard en championnat (9-1). Mais sa situation ne le satisfait pas. Il veut plus, surtout sur le plan financier et certains clubs sont prêts à lui faire un pont d’or pour le recruter. Il a des contacts avec … l’Olympique de Marseille qui veut casser sa tirelire (on parle d’une proposition qui avoisinerait le million de Francs, autant dire pour l’époque une somme faramineuse). Après l’affaire Carnus-Bosquier s’engage avec la cité phocéenne l’affaire Keita. Fou de rage de devoir à nouveau affronter l’OM sur les marchés des transferts, Roger Rocher affirme que le joueur est lié à son club par contrat jusqu’en 1973 et donc il est intransférable. Officiellement, le président stéphanois a raison. Officieusement, il oublie d’évoquer une clause cachée, signée devant notaire, qui rendait sa liberté au Malien dès la fin de l’année 1972 en contrepartie d’une somme sans aucune mesure avec les montants en jeu : 10000 francs. 

Le 15 avril 1972 après un match amical à Roanne, Keita rencontre Albert Batteux, Roger Rocher et leur confirme son intention de quitter le club. Il semble que sa détermination est intacte et aucune démarche stéphanoise ne saurait le faire changer d’avis. Il a trop le sentiment d’avoir été exploité par son président qui ne lui a pas fait en temps et en heure les propositions d’augmentations salariales qu’il pensait mériter. Le 17 avril, effectivement un chèque de 10000 francs parvient au siège de l’ASSE. 
Le président stéphanois ne compte pas en rester là et il porte l’affaire devant le Groupement, la haute instance du football français, l’ancêtre de la LFP. Se faisant, il avoue publiquement avoir fait signer à Salif Keita un contrat comportant une clause illégale car elle était interdite par la réglementation en vigueur. Les conséquences ne tardent pas à tomber. Le 19 mai 1972, l’ASSE écope d’une amende de 30000 francs et surtout Salif Keita se voit infliger une suspension de six mois. 
Même si l’attaquant malien avait menacé de porter plainte devant les tribunaux civils, il accepte finalement la sanction proposée car il veut plus que tout quitter un club qui l’a trahi. En plaçant les intérêts de l’ASSE au-dessus d’une parole donnée (avec ce contrat, Roger Rocher avait en quelque sorte donné sa parole), le président de l’AS Saint-Etienne a accompli là un acte dont il ne doit pas être fier et qui n’a pas empêché « sa panthère noire » de signer pour Marseille. 

Caprices du destin, le 19 novembre 1972, Salif Keita fait son retour sur les terrains avec un maillot blanc contre … l’ASSE. Il est époustouflant, marquant deux buts contre son ancienne équipe qui est défaite 3-1. Il ne peut s’empêcher d’envoyer un bras d’honneur à l’intention de Roger Rocher, pour lequel il voue désormais une haine féroce. Son geste ne plait pas du tout à la commission de discipline qui le suspend à nouveau. 



Sa carrière le mènera par la suite en Espagne, à Valence au Sporting Lisbonne puis aux USA où il en profite pour passer ses diplômes. Il s’engage au Mali afin de développer le football en créant son académie et en participant activement à la vie publique de son pays. 
Quoi qu’il en soit, il restera à l’AS Saint-Etienne comme le joueur ayant le plus marqué l’histoire du club. Sa sortie, peu glorieuse, ne saurait effacer le plaisir qu’il a donné à des milliers de supporters qui ont été enthousiasmés par son talent. Aujourd’hui, cet épisode est évidemment oublié et il a d’ailleurs donné le coup d’envoi d’un certain ASSE-OM en mars 2005. 

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