LÉGENDE: LE PHARAON ET LA BARQUE SOLAIRE 1
Ceci n’est pas une légende… L’histoire du monde commence
avec l’exode des Bantous1, une tragédie africaine dont les racines se perdent
dans la nuit des temps. Je vais vous rapporter le récit de la création de
l’Égypte par les Bantous. L’aube, telle une enfance, affrontait les nuages
grisâtres. Sa lumière persistante glissait à travers les feuillages. Des
hirondelles voltigeaient sous le ciel à peine ensoleillé. Assise sur la
terrasse du plus luxueux palais d’or et de cristal de tous les temps, Sowan
regardait s’éveiller la nature.
De sa terrasse, elle voyait la ville et ses splendeurs. Son
superbe palais, cerné de fleurs et d’arbres rares, se dressait de toute sa
magnificence dans ce pays des Bantous situé au centre de l’Afrique. Il
ressemblait par sa forme à une termitière géante. Les portes étaient en or
massif. Des temples dorés, des stèles, des obélisques en or portant des
écritures sacrées et des sculptures colossales représentant Amon2, le Dieu, Isis,
la Déesse mère, et la vie de la cité faisaient la fierté de la Cour. Il y avait
des palétuviers3 sur les bords du fleuve et de nombreux voiliers de pêche à sa
surface.
De temps à autre, L’âme rêveuse, les yeux tournés vers le
futur, Sowan avait le cœur plein d’espoir. Souvent silencieuse, elle ne livrait
à personne le fond de sa pensée. Princesse noble et cultivée, elle usait de son
intelligence pour aider son vieux père à mieux administrer le royaume. Discrète
et attentionnée, elle ne laissait jamais un détail échapper à son analyse.
Nostalgique1, elle évoquait le souvenir de sa mère, morte quand elle avait
trois ans, et pleurait en silence : elle lui manquait. Elle regrettait de ne
l’avoir pas assez connue. Elle était convaincue qu’elle serait devenue sa
meilleure amie. Pour atté- nuer son chagrin, elle passait le plus clair de son
temps à s’instruire, à aider les orphelins et à servir de confidente à son
père.
Adulée des siens pour ses qualités de cœur et d’esprit,
elle était aussi admirée pour son courage et son charme exceptionnels. Issue de
la lignée des déesses-reines, elle gardait une allure douce et mystérieuse.
Elle avait une peau d’argile dorée et des yeux perçants de tendresse. La jeune
femme était de taille moyenne et présentait une silhouette élégante, enjolivée
des courbes sensuelles de sa poitrine galbée. Son regard était doux, ses lèvres
pulpeuses comme une goyave mûre. Elle était gaie, mais assez souvent rêveuse,
ce qui faisait croire aux gens qui l’entouraient qu’elle était mélancolique.
Héritière de la couronne, elle avait des goûts très raffinés.
Sowan avait fait ses études avec les plus grands maîtres à
10 Les Contes du griot 25 30 35 40 45 1. Triste en pensant au passé. 2. Adorée.
penser de son époque. Elle aimait parler de l’univers avec les savants, et se
promener avec les poètes dans les forêts vertes qui surplombaient la cité des
ancêtres. Chaque soir, au coucher du soleil, comme au clair de lune, une fois
la lecture achevée, Sowan prenait plaisir à descendre les pentes abruptes d’une
falaise surplombant le jardin jusqu’au fleuve. Elle allait s’asseoir, seule,
sur la berge. Elle écoutait le bruit des rapides, le chant d’oiseaux nocturnes
et le clapotement des sources que les courants entraînaient dans les vagues du
fleuve. Elle humait l’odeur des plantes, se laissait caresser par les branches
légères dont le feuillage heurtait doucement son visage.
Elle songeait à Amon, à l’amour qu’elle lui vouait, aux
promesses vives qu’elle lui avait faites, à sa tendresse et à son désir d’être
la femme élue de Dieu. Elle avait eu deux enfants de lui. Mais la mort de
l’aîné et le chagrin de la mère incitèrent le Dieu Amon à s’incarner dans
l’enfant qu’elle désira engendrer1 à nouveau. Porteur de l’espoir, fils du
destin croisé, il devait unir le temps et l’espace en une seule matière. Il
marquerait son règne d’une vie éternelle. Attentif à ce qui fut annoncé, soumis
par ce qui avait été promulgué2, le peuple accepta d’attendre la naissance de
l’enfant sacré. Les notables, les poètes, les conteurs et les voyants Le
Pharaon et la barque solaire 11 50 55 60 65 1. Mettre au monde. 2. Mis en
application. célébraient nuit et jour cette longue espérance. L’idée d’une
génération épargnée par la mort fascinait les habitants. Les croyants venaient
de chaque coin du monde se prosterner devant la mère élue.
À cette époque unique, marquée par le règne fabuleux de la
dynastie des Djoser1, dont la gloire des fondateurs reste encore gravée sur les
stèles de l’histoire de l’humanité, les femmes étaient belles, élégantes et
agiles dans leur allure. Vêtues de robes de soie ornées de perles et de
monceaux d’or ou drapées de pagnes en lin éclatants de couleurs, elles
arboraient des visages souriant de bonheur. Les hommes, au teint de bronze, aux
dents d’une clarté de perles, étaient souvent beaux, charmants et travailleurs.
On ne connaissait ni la faim ni la pauvreté. Tous les sujets étaient libres.
Une fois par mois, le peuple se rassemblait autour de ses gouvernants pour
débattre des questions du royaume. Dans les villages et les villes, les
notables se confondaient avec les citoyens pour la confrontation des idées.
De siècle en siècle, les Bantous vivaient selon cette
tradition. Rien ne venait troubler leur sérénité, sinon les invasions
périodiques des Gétules aux frontières du royaume. Les Gétules, peuple barbare,
vivaient sous un régime de terreur. Leurs chefs successifs étaient des tyrans
sanguinaires, des despotes2 et des pillards. Leurs richesses provenaient
essentiel12 Les Contes du griot 70 75 80 85 90 1. Souverains égyptiens de la
IIIe dynstie (2800 avant J.-C.). 2. Chefs d’état qui gouvernent de façon
arbitraire et absolue. lement des guerres interminables qu’ils menaient contre
les tribus voisines. La contrebande était la règle parmi leurs activités. Cet
ensemble, formé au départ d’hommes exclusivement – dont la plupart étaient des
esclaves en fuite, des voleurs, des guerriers chassés de leur pays d’origine ou
des vagabonds sans attaches familiales –, réussit, à force d’invasions et
d’enlèvements de femmes, à constituer une dynastie.
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